ANTHROPIQUE (PRINCIPE)

ANTHROPIQUE (PRINCIPE)
ANTHROPIQUE (PRINCIPE)

ANTHROPIQUE PRINCIPE

On désigne par cette expression une thèse relative à la cosmologie. Cette thèse a été introduite par R. H. Dicke (Nature , no 192, 1961), à partir de remarques faites par Dirac dès 1930. Cette thèse a été précisée et argumentée depuis lors par plusieurs théoriciens d’origines diverses (physique fondamentale, astrophysique, mathématiques). Il semble que le terme anthropique ait été créé par Eddington (1930).

Le principe anthropique, par un jeu de mots suggestif, prétend réfuter les thèses cosmologiques qui s’appuient sur la nécessité de l’évolution entropique de l’univers. Sur le plan spéculatif, cette thèse revient à poser un «sur-déterminisme», dont l’être humain serait le centre — d’où le néologisme «anthropique». Jusqu’à présent, déterminisme physique et liberté humaine étaient compris comme incommensurables et antithétiques. Le principe anthropique permet de repenser la question. S’il est argumenté à partir de faits cosmologiques précis, éclairant sous un jour neuf de vieux débats théoriques, sa portée philosophique est tout aussi novatrice et stimulante.

Les questions cosmologiques et philosophiques que soulèvent les différents auteurs qui ont argumenté en faveur du principe anthropique sont de trois ordres (cf. J. D. Barrow et F. J. Tipler, The Anthropic Cosmological Principle , 1986).

Le premier groupe d’arguments est relatif aux caractéristiques existentes de l’Univers. Les arguments concernent ici la possibilité de formuler un «principe anthropique faible», pour reprendre la terminologie de Barrow. Cet auteur l’énonce ainsi: «Certaines propriétés observées de l’Univers qui peuvent apparaître a priori comme étonnamment improbables ne peuvent être considérées dans leur juste perspective que si l’on tient compte du fait que certains traits physiques et cosmologiques sont la condition préalable à l’existence de tout «observateur».» Un tel argument revient à poser qu’il doit exister une corrélation entre l’observabilité de l’Univers et la genèse physique d’un observateur. L’Univers tel que la cosmologie nous le révèle est bien proportionné relativement à la vie et à la pensée. Comme le formule Barrow, «pour qu’une civilisation comme la nôtre puisse exister, il faut que l’Univers soit aussi grand que ce qu’il est». Il semble actuellement que l’Univers voisine la frontière critique entre les valeurs de vitesse d’expansion qui «ferment» ou qui «ouvrent » l’Univers. La densité actuelle est très proche de la densité critique. Sa géométrie n’est ni celle d’un espace fermé (par exemple, une sphère) ni celle d’un espace ouvert (par exemple, une «selle de cheval»), mais elle se tient entre les deux et apparaît quasi plane. On peut encore souligner ses remarquables propriétés d’homogénéité et d’isothermie (c’est ainsi qu’on trouve la même température du rayonnement fossile dans toutes les directions de l’espace). Quelles que soient les variables qu’on prenne, l’Univers qu’on observe apparaît d’une régularité confondante. Bien plus, cet ordre régulier se maintient au voisinage de seuils critiques pour la plupart de ces variables. Or c’est dans la tranche fine des seuils que peuvent apparaître des hétérogénéités locales permettant la genèse de structures cosmiques à néguentropie croissante (par exemple, des galaxies fonctionnant comme des pépinières d’étoiles, elles-mêmes fonctionnant comme des lieux nécessaires à la nucléosynthèse, etc.), c’est-à-dire les conditions de possibilité physique d’apparition d’un observateur. Il faut donc là encore conclure à une corrélation entre ces caractéristiques globales du «système Univers» et l’apparition d’un observateur susceptible de le comprendre comme système.

De là naît une autre catégorie de questions, relatives aux données initiales de l’Univers. L’argumentation porte sur l’idée d’Univers possibles. Partant des valeurs contingentes qui semblent caractériser l’Univers que nous connaissons, il est permis, en s’appuyant sur la physique fondamentale et la cosmologie, d’imaginer des classes de «mondes autres». Or, dans toutes les classes d’Univers physiquement possibles, il semble que, relativement aux propriétés globales de durée, de taille, d’homogénéité, etc., qui en résulteraient, la quasi-totalité des mondes possibles seraient incompatibles avec l’émergence des propriétés structurales complexes de la matière (propriétés nucléaires, chimiques, biologiques, psychiques). «Comme de très petits changements dans un grand nombre de constantes détruisent dans la nature les coiïncidences qui sont à la base même de l’existence de la vie, on maintient que, dans un ensemble de tous les mondes possibles comportant toutes les permutations de valeurs numériques possibles pour les constantes fondamentales, notre monde n’est qu’un membre d’un très petit sous-groupe qui se trouverait en mesure de générer et de maintenir la vie» (Barrow).

Enfin, le principe anthropique suscite des questions relatives à l’état final de l’Univers. Ces questions correspondent à la formulation que Barrow nomme «principe anthropique fort». «Quel qu’ait été l’Univers, la vie devait exister pour pouvoir donner un sens à ce même Univers» (Barrow), ou encore «l’intelligence ou la vie est indispensable à l’existence même du cosmos» (Tipler). L’Univers n’est pas achevé. Qu’est-ce que cela implique physiquement? Qu’implique la prise en compte dans ce devenir de la survenue d’une partie qui prend conscience de cet inachèvement et qui se situe par rapport à cette potentialité d’innovation physique d’ordre en se posant la question du sens de la totalité et celui de sa présence dans cette totalité? «Pas de conscience, pas de communauté qui communique pour établir un sens? Alors, il n’y a pas de monde! De ce point de vue, on doit comparer l’Univers à un circuit autoexcité dans ce sens que l’Univers donne naissance à la conscience et la conscience donne un sens à l’Univers. En donnant un sens à l’Univers, l’observateur se donne de plus un sens à lui-même comme partie de cet Univers» (J. A. Wheeler et C. A. Patton, Is Physics Legislated by Cosmogony? ). C’est sur la question du sens qu’achoppe le principe anthropique, en montrant ce processus de création d’un sens comme impliqué dans la propriété d’autoconsistance du tout. «Se peut-il que l’Univers soit « amené à l’être» par la participation de ceux qui en participent? » (J. A. Wheeler, K. S. Thorne et C. Misner, Gravitation ). Ce que pointe le principe anthropique serait une relation créatrice du tout cosmique entre chaque individuation locale et l’organisation globale. D’une certaine manière, chaque individuation porterait en soi la possibilité d’actualiser ou non l’état final de l’Univers.

Si l’on reprend les trois types d’arguments «anthropiques», il semble bien que les lois attribuant à l’Univers les propriétés de système sont corrélées aux lois de structuration d’unités locales complexes. Or rien a priori ne garantit cette corrélation, si ce n’est une hypothèse d’harmonicité entre le tout et les parties, montrant l’unité du cosmos comme relevant finalement d’un principe d’organisation, que manifeste chacune des parties et auquel participent toutes les parties. C’est une telle hypothèse qu’a formulée F. Dyson de la manière la plus nette: «Plus j’examine l’Univers et j’étudie les détails de son architecture, plus je trouve évident que l’Univers devait savoir d’une certaine manière que nous [les humains] étions en train de venir» (Disturbing Universe ).

Encyclopédie Universelle. 2012.

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